Aujourd’hui, j’ai carte blanche. Ma community manager, me voyant ronchonner depuis quelque temps sur nos posts, m’a donné quartier libre, une “perm” en quelque sorte (permission des militaires). Elle m’avait expliqué ce qu’est le SEO, une sorte de GPS pour internet. Je n’ai pas tout compris sur le moment ; c’est une fois que le planning éditorial a été mis en route que j’ai commencé à saisir la manœuvre. Je lui ai dit : “En fait, nous écrivons pour des robots, avec un robot, pour avoir de bons scores ?”
Mais où sont les humains ? Ils comptent les points en likant.
Le contenu, mon contenu, devait rencontrer le “saint algorithme”. Alors, la grande prêtresse du hashtag a contrôlé chaque virgule et a soigneusement attribué chaque @.
Je ne peux rien dire, je suis à l’origine de cette demande.
J’ai analysé les parties de texte où ma community manager me retoquait : c’était lorsque je sortais des sentiers battus, lorsque je sortais du cadre et que je faisais preuve d’originalité. L’algorithme a horreur de ce qui n’est pas conforme à sa norme ! Lui, il cultive l’art de dire la même chose de 50 manières différentes. Il n’est “ni pour ni contre, bien au contraire…” Je dois répéter, reformuler, mais surtout, ne jamais être trop original. Je produis des contenus, et elle optimise avec des titres accrocheurs, des descriptions calibrées. Mon cerveau est-il encore utile ? Je ne suis pas prêt à cette course aux mots-clés qui se faufilent dans mes phrases, même quand ils ne sont pas invités. Il paraît qu’à force de répéter la même chose, les lecteurs finiront par y croire. Tout cela pour faire la promotion de mes livres… Suis-je prêt à ce qui semble se profiler comme une compromission ?
Les premiers pas sont faits. Je regarde les statistiques et je me laisse convaincre par son enthousiasme : nous avons eu 125 likes ! Yeahhh ! Quelle victoire. J’ai l’impression qu’elle lit les statistiques comme une voyante son marc de café, elle est douée.
J’ai une réflexion épistémologique : comment la connaissance se diffuse ? En tant que formateur, je me suis découvert une passion pour l’épistémologie !
Vais-je devenir un générateur de texte optimisé ? Mon métier m’a formaté à la relation humaine, à l’interaction débridée. Je ne veux pas devenir un robot humain, une machine à penser au service des algorithmes.
La réalité me rattrape : le trafic du site augmente, j’engrange des demandes de formations et des commandes de livres.
Je suis piégé, ce système fonctionne !
